Les 3ème Assises de l’éco-production, organisées par Ecoprod, se sont tenues le 10 décembre dernier à l’Académie du Climat et ont rassemblé 450 professionnels du secteur audiovisuel.
Cette journée, marquée par des échanges et débats instructifs, témoigne de l’engagement fort du secteur en faveur de l’accélération de la transition environnementale.
Un programme riche
Pour cette 3ème édition, le programme construit autour de 3 thématiques clés – anticiper, innover et fédérer – a permis d’aborder aussi bien les solutions concrètes sur l’organisation des tournages éco-responsables, que les enjeux réglementaires, l’impact sur la biodiversité ou le poids écologique croissant de l’intelligence Artificielle.
Les Assises de l’éco-production sont l’occasion chaque année de tirer un bilan de la transition environnementale et d’identifier les chantiers.
Un déploiement réussi pour le label Ecoprod
En 2023, Ecoprod, l’ADEME et Afnor certification lançaient le premier label d’éco-production qui certifie qu’un film, une émission TV ou d’une publicité a réduit son impact environnemental. Si un an après son lancement plus de 120 productions ont déjà été labellisées, Pervenche Beurier, la Déléguée Générale d’Ecoprod, regrette que “celles-ci ne soient pas encore la norme” et a souligné “l’importance de ne pas céder au fatalisme de la situation environnementale catastrophique et d’avancer ensemble pour faire évoluer toute notre industrie”.
Le poids considérable de l’industrie audiovisuelle a été rappelé par Jean-Marc Jancovici en clôture de l’événement : “Le numérique représente environ 4% des émissions carbone mondiales, c’est l’équivalent de la flotte mondiale de camions ou de 2/3 de la flotte mondiale de voitures. Et l’audiovisuel y participe en grande partie.”
10.000 bilans carbone : première analyse de l’impact carbone de la production audiovisuelle
Alissa Aubenque, Directrice des opérations et de l’international chez Ecoprod a indiqué que “l’impact moyen d’une heure de programme tout genre confondu (film, série, publicité documentaire etc.) était de 16 tonnes équivalent CO2, sachant qu’un Français émet 10 tonnes par an”. Et Lucas Boubel, ingénieur carbone chez Ecoprod, de préciser que “si l’on considère l’impact par minute produite, c’est la publicité qui a l’intensité carbone la plus haute, au-dessus des longs métrages de fiction et bien loin devant les documentaires”. Ces chiffres sont issus d’une nouvelle étude d’Ecoprod, disponible en janvier 2025, qui analyse les bilans carbone effectués avec le calculateur Carbon’Clap. Les transports, la matière (particulièrement la construction de décors) ou les groupes électrogènes sont des postes particulièrement importants en termes d’impact environnemental. Les productions labellisées parviennent à les réduire drastiquement, à l’image de Top Chef, Scènes de Ménages, Groland, ou Le Roman de Jim des frères Larrieux…
Des ateliers pour les membres Ecoprod
Huit ateliers participatifs, organisés par Ecoprod et ses partenaires, ont permis aux membres d’Ecoprod de plancher sur des solutions concrètes et spécifiques. Ces ateliers ont été l’occasion d’explorer les outils disponibles pour aider les entreprises à intégrer les principes de la RSE dans la stratégie des structures, de découvrir des techniques pour fédérer les équipes et des stratégies efficaces pour mobiliser la hiérarchie. Ils ont également permis de présenter les dernières recommandations d’Ecoprod visant à réduire l’impact des moyens techniques et des effets visuels, d’élaborer des approches collaboratives pour éco-produire des publicités, de réfléchir à l’intégration de la durabilité dès la lecture du scénario, et d’aborder les préoccupations environnementales des professionnels en transformant leur éco-anxiété en un engagement positif.
Anticiper
La table ronde “Écrire et réaliser une production éco-responsable : allier créativité et durabilité” avec Claude Barras (réalisateur), Gildas Bonnel (Fondateur de Sidièse, Président de la Fondation pour la Nature et l’Homme), Thierry Desmichelle (Directeur Général de SND et de M6 Films), Barbara Schulz (Réalisatrice, scénariste et actrice) a permis d’évoquer diverses questions : Comment se rendre compte de la matérialité du tournage dès l’écriture du scénario ? Comment anticiper une éco-production ? Ou encore comment remettre en question les représentations véhiculées par les récits pour construire de nouveaux imaginaires ? Ecoprod publiera deux nouveaux guides pour les métiers de la réalisation et de l’écriture au premier trimestre 2025.
Pour les intervenants, prendre en considération le sujet environnemental dès le scénario ou le brief n’est pas un frein à la créativité mais ouvrent de nouvelles perspectives, permettant de repenser les pratiques et de s’affranchir de représentations dépassées.
“On parle d’aspects pratiques en éco-production mais on parle aussi de représentations pour le monde. On a entre les mains des moyens très puissants de rendre enviables des comportements et d’en ringardiser d’autres.” – Gildas Bonnel
Ces échanges ont également mis en lumière la nécessité de penser l’éco-production et les applications concrètes en tournage, dès la phase d’écriture. Cette anticipation offre la possibilité de statuer rapidement sur des choix clés en termes d’émissions carbone et de se tourner vers d’autres alternatives. En publicité notamment, un sujet central concerne la délocalisation de tournages à l’étranger qui est à interroger et négocier dès les premiers échanges avec les annonceurs, l’agence et la société de production.
Malgré les contraintes imposées par un contexte socio-économique incertain, les participants ont relevé des progrès notables : ces dernières années, de nombreux groupes audiovisuels et publicitaires ont amorcé une transition vers des stratégies de production plus responsables et durables.
Thierry Desmichelle a ainsi souligné que “Le Groupe M6 donne l’impulsion et est engagé dans une réduction de son empreinte carbone. La production représente 20% de l’empreinte carbone du groupe. C’est donc automatiquement un sujet chez SND ou chez M6 Films. (…)”.
La biodiversité à l’honneur
Marina Ezdiari (Responsable de projets écologiques chez Audiens et co-autrice du Guide des tournages en milieux naturels) et Mathieu Thill (Coordinateur d’éco-production) ont pris la parole pour aborder la nécessité d‘intégrer la préservation de la biodiversité et les pratiques d’éco-production dans l’industrie audiovisuelle. Ils ont illustré, à travers des exemples concrets comme le film Le roman de Jim ou la série Alex Hugo, la manière dont les tournages en milieux naturels imposent une prise de conscience des impacts environnementaux, tels que le choix de tourner en lisière de forêt plutôt qu’en son cœur et l’enregistrement des sons en post-production pour préserver la faune locale. À cette occasion, Ecoprod a annoncé deux partenariats en faveur de la régénération du vivant : l’un avec Le Printemps des Terres pour la création d’une forêt Ecoprod dans le Jura, et l’autre avec la LPO.
Innover
La seconde table ronde consacrée aux retours d’expériences innovantes a prolongé ce dialogue, en donnant des exemples concrets d’innovations techniques et d’usages.
Laurent Héritier (Directeur d’exploitation Éclairage-Énergie Transpalux) a indiqué que les tournages ont fortement diminué leur besoin énergétique grâce à l’essor de l’éclairage LED ces 10 dernières années. Pour autant, la consommation restante repose souvent sur des groupes électrogènes qu’il est urgent de décarboner. Des solutions se développent et sont de plus en plus adoptées sur les tournages, tels que des groupes sur batteries alimentés aux biocarburants.
Quelques exemples clés ont permis d’éclairer les débats : Du côté de l’image numérique, pour la production d’images de synthèse en 3D Hanna Mouchez (MIAM! Animation) a pu s’appuyer sur des technologies innovantes comme le “temps réel”, qui évite une grande quantité de calculs informatiques par rapport aux workflow traditionnels ; avec par exemple un temps de rendu de seulement 6 heures pour un épisode de film d’animation de 12 minutes.
Valérie Valéro, cheffe décoratrice, expérimente depuis de nombreuses années des pratiques plus responsables dans la conception de décors, récemment notamment sur le film “Maria” de Jessica Palud; lauréat du prix Ecoprod 2024. Le concept de design inversé permet de concevoir des décors à partir d’éléments existants, avec la réutilisation des feuilles décor, d’accessoires ou de meubles stockés en ressourcerie. Enfin, dans le secteur de la publicité, souvent décrié au sujet des problématiques environnementales, la mise en place de l’éco-production progresse de manière positive avec une sensibilisation et une implication croissante des équipes à tous les niveaux, comme l’a confirmé Carine Cottereau (Prodigious France). Chez Prodigious cette mobilisation passe notamment par l’utilisation du nouvel outil développé par Ecoprod et soutenu par l’ADEME, L’Etiquette Pub, qui permet de sensibiliser les annonceurs et les créa dès la phase d’idéation.
IA et éco-production : un oxymore ?
L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus utilisée dans le secteur audiovisuel à chaque étape de fabrication, de l’idéation jusqu’à la post-production. Malgré ses promesses de productivité et d’innovation, le déploiement des IA a un coût énergétique énorme et croissant (consommation d’eau, d’énergie, de matériaux rares). Landia Egal, (autrice-réalisatrice, productrice et experte environnementale) a dressé un constat des impacts écologiques considérables qui viennent s’ajouter aux enjeux sociaux, organisationnels, artistiques et juridiques.
Une approche plus sobre et éthique est nécessaire, qui passe par la transparence sur les impacts de l’IA, la priorisation des alternatives responsables plutôt que l’IA, et l’intégration de récits culturels favorisant des futurs soutenables.
Fédérer: éco-systèmes humains, financiers et institutionnels
La dernière table ronde de la journée “Créer les conditions de l’éco-production : des éco-systèmes financiers, humains, institutionnels à déployer” a réuni Thierry Hugot (Responsable de programme & Contrôleur financier Eurimages – Conseil de l’Europe), Anne-Claire Telle (Directrice de l’Engagement de Mediawan, Vice-Présidente d’Ecoprod), Leslie Thomas (Secrétaire générale du CNC), Livia Saurin (Secrétaire générale adjointe de France Télévisions), Marine Schenfele (Directrice RSE de CANAL+ Europe). Comment concilier le temps court de l’urgence environnementale et le temps long de l’adaptation du secteur ?
Les aspects réglementaires ont été un point central de la discussion – notamment la stratégie du CNC qui a annoncé la poursuite du “Plan Action !” courant 2025. Ce plan triennal lancé en 2022 a déjà permis de belles avancées : création d’un observatoire de la transition écologique, sensibilisation dans les écoles, éco-conditionnalité des aides avec l’obligation pour les productions aidées de fournir des bilans carbone. En outre, Leslie Thomas a présenté l’AFNOR SPEC 2308 “un mode d’emploi qui fixe des objectifs à atteindre en matière de RSE. Le CNC est aussi dans une logique d’anticipation de la directive européenne qui s’appelle la CSRD qui fixe des obligations pour les entreprises de devoir faire du reporting extra financier.” Si la France est pionnière en matière de réglementation d’éco-production, le manque d’uniformisation et d’harmonisation des normes à l’échelle européenne peut rendre difficilement lisible le sujet de l’éco-production pour les co-productions. Pour répondre à cette problématique et favoriser la montée en compétence globale du secteur, Eurimages est à l’initiative d’une plateforme d’e-learning européenne : StepUP by Ecoprod.
En parallèle des engagements d’institutions publiques, les groupes tels que CANAL+, Mediawan et France Télévisions ont implémenté au cœur de leur stratégie le déploiement de démarches d’éco-production. En 2024, Canal+ a ainsi obtenu le Label Ecoprod sur ses productions internes et de nombreuses créations originales, tandis que France Télévisions a fait certifier des programmes phares tels que la quotidienne “Un si grand soleil” et s’est notamment très fortement engagé sur ses nouveaux studios. Pour 2025, Mediawan a annoncé la systématisation du recours à l’éco-score Ecoprod sur toutes ses productions en France et à l’international ainsi que l’augmentation du nombre de productions labellisées.
Jean-Marc Jancovici (Ingénieur, professeur, co-auteur de la BD Le Monde sans Fin, co-fondateur de Carbone 4) a clôturé cette journée : “Si on est sérieux sur la nécessaire réduction de 5% par an [des émissions de gaz à effets de serre], on contractera l’économie réelle de 3 à 4% par an. C’est un covid par an. La probabilité que l’audiovisuel en sorte indemne paraît peu probable.“ Mais pour appréhender la transition environnementale et s’armer dans la crise climatique, il a deux mots d’ordre : “Lucidité et enthousiasme” car chaque effort collectif nous prépare un peu mieux aux changements inéluctables à venir.
Rendez-vous en 2025 pour la prochaine édition des Assises de l’éco-production.