Rencontre avec Laurence Lafiteau, régisseuse générale, directrice de production et productrice, sur des longs métrages et des projets événementiels. Elle nous explique comment elle intègre des principes Ecoprod dans son métier.
Laurence, comment avez-vous entendu parler de la Charte Ecoprod ?
Lors d’un festival de Cannes, il y avait une présentation de la région PACA sur l’éco-production et j’étais contente qu’une démarche s’instaure. J’avais une sensibilisation personnelle mais dans le métier on ne l’était pas trop. Un tournage c’est souvent une bulle.
Comment ça se passait dans le métier ?
J’étais prête à entendre ce discours et ça m’a fait une piqûre de rappel. A l’époque le premier film que j’ai fait : « Mon colonel », produit par la famille Gavras était tourné en France et en Algérie, notamment dans des ruines romaines de Djemila classées au patrimoine de l’UNESCO dans la région de Sétif. Je me souviens qu’on était sur ce décor et les techniciens français comme algériens, jetaient leurs mégos de cigarette… juste ce geste… j’ai commencé à voir les régisseurs pour leur demander de mettre des cendriers, de faire quelque chose. J’étais alors régisseur général, c’était mon rôle de mettre ça en place et je ne l’avais pas fait, je contribuais à cette catastrophe écologique. Même si la gestion des déchets en Algérie n’est pas la même qu’en France, nous, on ne va pas faire pareil.
Ce film m’a déclenché une crise de conscience. Il n’y avait pas de tri de déchets, les poubelles il fallait les brûler dans les terrains vagues. C’est un peu différent maintenant.
Quand j’ai découvert Ecoprod, j’avais donc le tournage de ce film en tête et je me suis dit qu’on ne peut pas, sous prétexte de produire de l’art, ne pas respecter l’écologie. Ce n’est pas incompatible, on peut être citoyen et faire de l’art.
Sur quel projet avez-vous intégré des pratiques éco-responsables ?
La mise en place ne s’est pas faite de suite, il y a rapidement eut ce film « Parenthèse » tourné dans le parc national de Port-cros Porquerolles sorti le 20 juillet 2016. L’évidence s’est présentée d’être en écoproduction. Avant ça, on faisait des choses de bureau basiques mais pas suffisantes. Là j’avais envie que la démarche d’écoproduction soit très en amont et j’ai pu l’amener parce que j’étais aussi très en amont sur le projet. On a demandé la subvention Ecoprod que l’on n’a pas obtenue mais quand on travaille dans un parc national, on a des règles strictes à respecter pour tourner. Vu le contexte, l’écoproduction s’est imposée.
Comment vous êtes-vous organisée pour la logistique, les moyens de production ?
Pour les transferts et apporter le matériel sur l’île, les transports en commun ont été privilégiés (bateau-navette entre Le Lavandou/ Hyères et les deux îles).
Ensuite il faut penser que le camion ne peut pas circuler sur toute l’île, donc qu’il ne sera pas à côté du lieu de tournage. Nous avons tout stocké dans un local pour limiter les déplacements à pied. Ce n’est pas dans les habitudes d’une équipe technique qu’il a fallu convaincre. On a abandonné les véhicules sur le continent et après les techniciens ont joué le jeu. L’assistante caméra avait fabriqué une roulante pour son matériel qui ressemblait plus à une charrette 4×4. Cela nous demande d’être créatif, de trouver des solutions. La régie était en vélo, l’équipe marchait, y compris les comédiens. Du matériel a été transporté en zodiac lorsque c’était trop escarpé. Cela a une répercussion sur l’écologie mais économiquement ça a du sens aussi vu l’économie du film.
Quand on rationnalise et mutualise les choses, cela a forcément un impact économique.
En plus des transports, d’autres aspects du film ont-ils intégré des principes d’écoproduction ?
Pour la lumière, sachant que sur l’île on n’allait pas avoir de groupe électrogène et que les branchements forains sur la plage sont impossibles, en amont sur le plan de tournage, le chef électro a dû trouver des solutions. On a regardé l’éphéméride pour travailler le plus possible en lumière du jour et sans lumière artificielle. On avait juste un groupe de deux kilos qui était indispensable pour certaines nuits.
Quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ?
Il faut avoir les bons outils, parce que si rien n’est trié, on ne le refait pas derrière. En fonction des régions en plus les couleurs de bacs de recyclage ne sont pas les mêmes, entre Paris et la Province par exemple. Il faut donc du matériel adapté, bien signalé.
D’ailleurs au bureau comme tout le monde met tous ses déchets dans sa poubelle de bureau, j’ai mis l’affichage Ecoprod. Un jour Costa-Gavras voit mon affichage et me dit « c’est hyper clair. Tu peux me les imprimer pour chez moi ? ». Alors j’ai imprimé les affiches Ecoprod qu’il a ramené chez lui. Je les ai mises dans mon immeuble aussi !
Pour les gobelets comment faites-vous ?
Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas.
Donc les gobelets il faudrait arrêter. J’ai essayé le mug offert en début de tournage, mais ça a un coût. Certains le gardent mais ce n’est pas efficace. Il y a l’écocup, mais ça il faut que l’équipe régie les nettoie. La dernière chose que j’ai trouvée mais pas essayée encore en tournage, ce sont les gobelets biodégradables. Il faut ensuite les composter puis tout amener au composteur. Il faut faire attention parce que ces gobelets sont en PLA et cela ressemble à du plastique alors beaucoup de monde les jette dans les ordures ménagères. Cela évite le gobelet plastique mais il faut aller au bout de la chaine, c’est mieux. J’ai vu que la Cartoucherie de Valence a un élément qui récupère les gobelets usagés, en pile on comprend facilement où jeter son gobelets et ensuite c’est plus facile à transporter. Et puis il y a des sociétés de tri (comme Cèdre) qui viennent récupérer les déchets et proposent des poubelles intuitives pour le tri.
Oui mais comme ça coûte de l’argent, est-ce que c’est facile à mettre en place ?
Faire appel à une société externe pour le tri ça coûte, mais il y a des déductions fiscales. C’est vrai que ça peut fonctionner pour les entreprises mais pas forcément pour les tournages. Un des enjeux des tournages est d’arriver à quantifier et réduire les déchets.
Avez-vous déjà utilisé le Carbon Clap et qu’en pensez-vous ?
C’est la prochaine chose à mettre en place. Comme cela n’a pas été fait au début, on ne s’y est pas mis ensuite lors de la post-production, je ne sais pas si c’est possible. J’ai l’impression que c’est beaucoup de temps et d’investissement, mais il faudra le faire sur le prochain projet.
Les outils Ecoprod vous ont-ils aidés ?
Sur une production, je donne l’affichage Ecoprod assez rapidement pour le tri, c’est le minimum à faire. Après aussi, j’utilise les fiches métier, pour que le chef déco puisse voir ce qu’il peut faire pour sa partie, ou le chef électro ou le régisseur général bien sûr. Chacun regarde les fiches pour revoir des points et mettre en place des choses auxquelles il n’aurait peut-être pas pensé. La démarche se poursuit avec les prestataires. Savoir s’ils connaissent l’écoproduction, ce qu’ils font, l’idée c’est que tout le monde soit dans la même démarche.
Les trouvez-vous facilement ces prestataires ?
Ce sont des conditions, même s’ils ne l’annoncent pas et ne le font pas à priori, ils sont souvent ouverts. Comme on est le « client » c’est plus facile comme position.
Comment arrivez-vous à convaincre votre équipe ?
Il y a toujours un à priori négatif qui fait que c’est comme si l’on impose des contraintes. Certes il va falloir former les équipes, faire des achats, initier la démarche, mais économiquement le calcul est très rapidement fait. Le covoiturage c’est une note d’essence et pas cinq. Il y a des retours économiques que l’on peut démontrer aux producteurs mais qu’il faut aussi expliquer aux techniciens. Sauf pour ceux qui sont déjà convaincus, ils disent qu’on leur demande beaucoup et qu’il faut faire en plus ce travail. Et alors c’est de la sensibilisation, l’autorité ne fonctionne pas. Mais le temps ne joue pas en notre faveur : on sait que c’est maintenant qu’il faut agir. A l’argument, « mais à quoi ça sert ce que je fais, ça va changer quoi », je raconte souvent la fameuse histoire du colibri.
Quelle histoire… ?
Dans une forêt il y a un grand feu et les animaux perplexes regardent le feu. Un colibri va jusqu’à la rivière, remplit son bec de gouttes d’eau et les jette sur le feu. Le tatou le regarde et lui demande « qu’est ce que tu fais, tu crois que tu vas éteindre le feu ? » Le colibri lui répond « Je ne sais pas si je vais l’éteindre, mais je fais ma part ».
Donc, évidemment, un tournage n’est jamais parfait, on ne change pas la face du monde, mais si chacun fait un peu ce sera beaucoup. A chaque tournage et projet, les dispositifs sont différents, il faut faire au cas par cas et adapter. Puis s’y tenir avec toute l’équipe qui doit être formée.
C’est une direction aussi alors ?
Comme dans tout écosystème il faut une direction claire pour écrire les choses au départ pour sensibiliser la base et refaire le lien vers le haut. J’interviens pour des formations régisseur et production pendant lesquelles j’ai pris l’initiative de faire un temps écoproduction pour les sensibiliser. C’est ce qu’il faut faire de plus en plus : former dans les écoles les futurs techniciens du cinéma. Et puis continuer d’échanger les expériences déjà mises en place pour toujours s’améliorer et développer des productions écologiques.